Violences faites à l’encontre des femmes au travail
Les violences faites aux femmes, qu’elles se produisent dans la sphère privée ou au travail, constituent un fléau social avec des répercussions profondes sur les victimes. Dans ce contexte, les entreprises sont appelées à jouer un rôle crucial non seulement dans la prévention et la gestion des violences sur le lieu de travail, mais également dans la prise en charge des employées victimes de violences dans leur vie privée.
Des études montrent que les répercussions des violences domestiques s’étendent jusqu’au lieu de travail, affectant la productivité, la santé mentale et la sécurité des employées. Inversement, les violences sexistes et sexuelles au travail ont des conséquences bien au-delà de l’univers professionnel. Ainsi, parmi les femmes victimes de violences sexistes et sexuelles au travail, 26 % ont rencontré des problèmes de santé, 21 % des difficultés professionnelles, 19 % des difficultés économiques¹. De manière obligatoire ou volontaire, les entreprises jouent un rôle de plus en plus important dans la prévention des violences et dans l’accompagnement des victimes.
¹ Chiffres-clés – Édition 2021 : Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes – Ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes
Le cadre légal
En France, la législation impose aux employeurs de prévenir les actes de harcèlement et de violence au travail. Le Code du travail (articles L1152-1 à L1153-6 pour le harcèlement moral et sexuel) précise que l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ainsi, les entreprises doivent élaborer et mettre en œuvre des politiques claires contre les violences faites aux femmes, notamment :
- La formation des salariés et des managers sur le respect de la dignité des femmes au travail et la sensibilisation aux différentes formes de violences.
- La création de procédures internes pour signaler les cas de violence, garantissant l’anonymat et la protection des victimes.
- L’instauration de sanctions disciplinaires contre les auteurs de violences.
Les entreprises défaillantes dans la mise en œuvre de ces mesures peuvent être tenues pour responsables et faire face à des sanctions pénales. Les victimes peuvent également réclamer des dommages et intérêts pour réparation du préjudice subi.
Vers une plus grande prise en charge des violences conjugales
Des initiatives législatives récentes commencent à aborder la question de la prise en charge des victimes de violences domestiques. Certaines entreprises françaises ont déjà pris des initiatives en intégrant la prise en charge des violences domestiques dans leurs accords portant sur l’égalité professionnelle.
Par exemple, le groupe PSA a été pionnier en signant un protocole de prévention et de lutte contre les violences conjugales dès 2009, s’engageant à relayer les campagnes nationales, sensibiliser et former ses services RH, sociaux et médicaux, et à soutenir les victimes. D’autres entreprises, telles que Orange SA et Michelin, ont également inclus des mesures spécifiques dans leurs politiques RH pour accompagner leurs salariés victimes de violence conjugale. Ces mesures peuvent comprendre des aménagements d’horaires, des conseils juridiques ou l’aide à la recherche d’un nouveau logement. La Poste s’est distinguée en accordant trois jours d’autorisation spéciale d’absence pour permettre aux victimes de réaliser les démarches administratives nécessaires.
3 questions à Audrey Richard, présidente de l’ANDRH
Les 9 principes généraux qui régissent l’organisation de la prévention sont les suivants :
Dans une société où les violences faites aux femmes demeurent un défi majeur, les entreprises se positionnent de plus en plus comme des acteurs clés dans la lutte contre ce fléau. Afin d’encourager et de faciliter cette dynamique, ONU Femmes France avec le soutien de l’Association Nationale des DRH (ANDRH) a élaboré le guide : « Violences faites aux femmes : quels rôles pour les DRH et les managers ? » Mise en perspective avec Audrey Richard, présidente de l’ANDRH.
Comment le guide a-t-il vu le jour ?
Ce guide est né du constat que, selon nous, les entreprises ne s’impliquaient pas suffisamment dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Or, l’ANDRH estime qu’il peut revenir aux entreprises d’aider les femmes en difficultés. Nous voulions donc prendre position et, dans un second temps, donner des clés concrètes pour agir. C’est ainsi que nous nous sommes rapprochés de l’association ONU Femmes France et que ce guide a vu le jour. Il contient des chiffres, des contacts et des conseils pratiques pour les managers et les RH afin de pouvoir prévenir les violences, de repérer et d’orienter les victimes.
Il était important pour vous de couvrir la prise en charge des violences domestiques ?
Absolument ! Car toute la question est là : l’entreprise doit-elle intervenir quand les violences relèvent de la sphère privée ? À l’ANDRH, nous en sommes convaincus. C’est une question morale, civique, mais aussi de performance économique. Or, aujourd’hui, ce ne sont pas encore des pratiques répandues. C’est pour cela que les témoignages d’entreprise ont beaucoup de valeur. Cela permet d’informer, de partager, d’inspirer… D’ailleurs, l’un des Grands Prix de l’ANDRH a été attribué cette année à Coopérative U Enseigne pour le dispositif mis en place pour accompagner les salariées victimes de violences conjugales.
Dans quelle mesure les managers et les DRH ont-ils un rôle particulier à jouer ?
L’entreprise est responsable de la santé physique et mentale des salariés, c’est pourquoi il est indispensable
de détecter et de protéger les victimes. Comme ils sont au contact quotidien des équipes, les managers ont un rôle primordial à assumer. Et ils ne pourront le faire que s’ils sont formés. D’où l’importance aussi de former les RH, qui mettent aussi en place des actions de prévention… Car l’idéal, ce serait de ne plus avoir à prendre en charge les victimes, d’arriver à empêcher les violences à la source grâce à une prise de conscience collective !
Le mot du pro
Magalie LOCHET ZAJAC, Psychologue du travail.
Quelles sont les formes de violences faites à l’encontre des femmes ?
Les violences à l’encontre des femmes sont multiples et touchent tous les âges et catégories sociales. Évoquons d’abord la violence verbale (humiliations, insultes, menaces…). Cela accompagne souvent la violence physique, mettant en danger l’intégrité physique de la victime (de la simple bousculade à l’homicide). C’est la plus évoquée dans les médias. La violence psychologique sert surtout à isoler, avoir de l’emprise, à fragiliser. Cela peut cacher des violences sexuelles : harcèlement sexuel, viol conjugal… La cinquième forme de violence est moins médiatisée, c’est la violence économique : privation des ressources, interdiction de travailler, le contrôle méticuleux des dépenses…
Est-ce qu’il existe une sorte de « mécanique » de la violence ?
Oui, il existe un cycle qui peut se répéter. La 1re phase est une escalade vers un climat de tension. L’auteur exerce des pressions psychologiques. La 2e phase est celle de la crise, souvent courte mais dévastatrice. Dans la 3e phase, l’agresseur justifie ses actes en déplaçant la responsabilité sur sa victime : c’est elle qui a tout déclenché, et la victime trouve des excuses à son agresseur qui se présente lui-même comme victime. Cela se termine par la « lune de miel » : il promet que cela n’arrivera plus, et il a besoin d’aide pour cela. La victime lui donne une seconde chance, ils se réconcilient, l’espoir renait, et le cycle recommence…
Est-ce qu’on peut observer des situations similaires dans le cadre professionnel ?
Oui, et je pense à une jeune cadre que je vais appeler Marie, et qui a subi plusieurs formes de ces violences, avec le cycle de la violence en filigrane. Elle est dans un grand groupe, recrutée sur un poste à fortes responsabilités, mais sa responsable n’a pas le temps pour la former au poste. Marie tâtonne, alerte sa responsable qui fuit les questions. Marie se tourne vers ses homologues pour être aidée. Ses journées s’allongent, elle démarre à 7h et sort du bureau à 20h. Marie demande à nouveau de l’aide, et obtient pour réponse « c’est de ta responsabilité, on ne peut pas embaucher davantage ». Elle s’investit alors encore plus, et elle se voit élue salariée du mois pour son engagement, ce qui l’encourage à continuer…
Mais toujours submergée, elle alerte à nouveau sa hiérarchie qui lui répond « on voulait un homme sur ce poste, sois heureuse de l’avoir et ne te plains pas ». Relevant toujours le défi, elle obtient une prime très généreuse le mois suivant, ce qui la contraint moralement à continuer d’honorer, à la même intensité, la mission qui lui est confiée. Mais son état de santé se dégrade, et elle s’épuise. Aujourd’hui, Marie est en arrêt depuis 6 mois. Démotivée, elle persiste à penser qu’elle a échoué, qu’elle n’a pas été à la hauteur de la mission, que c’est de sa faute.
Bien qu’elle ait subi différentes formes de violence dont une violence institutionnelle, plus un agissement sexiste, elle continue de ressentir de la culpabilité, d’autant que la valorisation obtenue (élue salariée du mois, prime, et sexisme) a entretenu ce cycle, sur fond de conflit de loyauté.
Entretien recueilli par Sébastien VAUMORON, responsable prévention chez Collecteam
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